dimanche 3 avril 2011

Les oiseaux

La Parole de Dieu

« Je suis venu en ce monde pour que ceux qui ne voient pas puissent voir. »
Évangile selon saint Jean, chapitre 9, verset 39.

La méditation

Il y a cinq ans, j'ai commencé à observer, à mes heures perdues, les oiseaux qui égayent le jardin de notre couvent, à Lille. Comme je n'y connaissais rien – ou si peu ! – j'ai commencé par me procurer une petite brochure, pour me faire une idée des différentes espèces qui peuplent les jardins de nos villes. Le B. A. BA. de l'ornithologie.

Il y a bien sûr beaucoup d'oiseaux qu'on ne reconnaît que si l'on y prête un peu d'attention. La nature a veillé à protéger les plus fragiles d'un manteau discret, mais il y en a beaucoup d'autres qui se drapent, au contraire, de couleurs vives. Parmi eux, il y a le geai des chênes. Il ne faut pas être bien malin pour identifier l'animal : sa taille, son plumage bigarré aux couleurs vives et surtout ce trait bleu vif qui souligne le contour des ailes le rendent repérable du premier coup d'oeil ; on le reconnaîtrait entre mille.

En découvrant dans cette brochure la planche qui lui était dédiée, je me suis dit : « Je n'ai jamais vu cet oiseau ». Je pensai que, probablement, il dédaignait de nicher chez nous. Un oiseau anticlérical, peut-être ? Mais à vrai dire, je n'ai pas simplement pensé que je n'avais jamais vu cet oiseau : j'en étais sûr ; s'il s'était présenté devant moi, je l'aurais vu !

Jésus dit dans l'évangile : « Du moment que vous dites : "Nous voyons !", votre péché demeure ».

Il n'a pas fallu cinq minutes pour que, juste sous ma fenêtre, sur une des branches du saule pleureur juste devant ma cellule, un geai vienne se poser. Il était là, avec son ventre brun teinté de rose, sa queue noire, ses yeux soulignés de blanc, sa moustache épaisse... et ce trait bleu vif que j'aurais juré quelques instants auparavant n'avoir jamais vu de ma vie. Il était là, à quelques mètres seulement, moqueur, et il me disait que si seulement j'avais daigné ouvrir les yeux, j'aurais fait sa connaissance depuis bien longtemps déjà.

Naturellement l'apparition de ce geai n'était nullement due à un hasard extraordinaire. En quelques jours, j'ai pu vérifier que l'oiseau est pour ainsi dire en résidence permanente dans le jardin... Il était simplement là et je ne le voyais pas.

Cinq ans ont passé et le geai est toujours là, aussi imposant et aussi bariolé qu'au premier jour. Il me rappelle à chaque rencontre qu'il fut un temps où je ne le connaissais pas et il m'enseigne que bien des choses plus secrètes, plus discrètes et pourtant plus importantes sont sans doute là, aujourd'hui, sous mes yeux, derrière le voile qui obscurcit encore mon regard. A son école, j'ai appris à nier, farouchement, qu'il faille voir pour croire : nous ne voyons trop souvent que ce que nous cherchons à voir, en délaissant le réel qui se découvre à nos yeux si seulement nous désirons en sonder la véritable profondeur.

Jésus dit dans l'évangile : « Je suis venu pour que ceux qui ne voient pas puissent voir. »

Si même le tape-à-l'oeil nous échappe parfois, comment se pourrait-il que nous imaginions voir ce qu'il y a de discret et de caché dans le monde, comme l'accenteur mouchet, ce petit oiseau craintif qui se réfugie dans les buissons dès le premier mouvement ? Lequel d'entre nous est tout à fait indemne de cet aveuglement qui nous empêche de reconnaître telle joie ou telle détresse, telle croissance ou telle crise dans le coeur de nos proches ? Sommes-nous capables de discerner la vie, lorsqu'elle se fraye péniblement un chemin au coeur de notre humanité ? Savons-nous reconnaître l'amour enfin, quand il décide de se manifester autrement que derrière la caricature hideuse dont il est trop souvent affublé ?

La formule de Saint-Exupéry est bien connue : « On ne voit bien qu'avec le coeur ; l'essentiel est invisible pour les yeux. » La formule est belle et elle a sa part de vérité. L'Écriture nous apprend cependant que le thème du coeur de pierre se conjugue souvent avec celui de la cécité, de la surdité et de la bêtise. Le coeur et l'intelligence, les oreilles et les yeux : c'est tout cela, et tout cela ensemble que Jésus guérissait.

Comment ? Le chemin qu'il nous propose n'est autre que celui de la foi : Jésus se donne à voir à ceux qui croient en lui. Ce n'est pas un hasard : il est « la lumière du monde ». Pas seulement un bon ophtalmo. Croire en Lui, c'est voir le monde tel qu'il est vraiment : habité et illuminé par sa lumière.

Le Christ Jésus ne nous demande pas de croire en Lui pour nous conduire hors du monde. Bien au contraire. S'il nous attire à Lui, c'est pour nous conduire au coeur du monde, dans l'épaisseur de notre monde, là même où brille sa lumière, en un lieu où nous entendrons des rires que nous n'avions jamais devinés, où nous verrons couler des larmes que nous n'avions jamais soupçonnées et où, secrètement, il se donne pour que les hommes aient la vie.

Le monde vu sous cette lumière n'est pas un autre monde. C'est notre monde. Sous un jour nouveau, simplement.

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